La Route de la soie du 21ième siècle s’épanouit

Prochain rendez-vous en 2019 ! La date du deuxième “Belt and Road Forum for International Cooperation”, dont la première édition s’est tenue les 14 et 15 mai à Pékin (rassemblant 28 chefs d’État et des représentants de 100 pays), est déjà fixée. A juste titre, car l’exécution de la Route de la Soie du 21ième siècle est un projet de longue haleine, qui mobilise des ressources impressionnantes. La Chine a promis d’y investir 580 milliards de renminbi (85 milliards de dollars) supplémentaires, dont 100 milliards de renminbi alloués au « Silk Road Fund » (SRF). Géré par le Ministère des Finances (MOF), ce fonds d’État a déjà investi au moins 23,5 milliards de renminbi en projets d’infrastructure en Asie et en Europe. « Ses investissements pourraient atteindre un total de 40 milliards de renminbi d’ici la fin de 2020, » prédit Alexious Lee, responsable de la recherche industrie en Chine de CLSA. L’initiative d’envergure, à laquelle le Président Xi Jinping travaille depuis 2013 (https://www.lazuli-international.com/la-route-de-la-soie-du-21ieme-siecle-sur-les-rails/), « a attiré beaucoup d’attention à l’international. Le sujet était « nouveau » pour nombre d’observateurs extérieurs, même si, d’Asie, nous le considérons comme une « vieille » histoire, » commente Mark Tinker, responsable d’Axa IM Framlington Equities Asia.

Coopération tous azimuts

Entre 2013 et 2016, les entreprises chinoises ont déjà investi plus de 60 milliards de dollars dans les pays situés le long de l’OBOR (« One Belt One Road », « Une Ceinture, Une Route »), tandis que 56 zones de coopérations économiques et commerciales (ECZs) ont vu le jour. Celles-ci ont généré plus de 1,1 milliard de dollars de recettes fiscales en créant 180 000 emplois locaux. Sur les 4 500 emplois créés par ECZs, 75 à 80 % ont été recrutés localement, les autres arrivant directement de la Chine continentale. Étant donnée la multiplication des accords de coopération gouvernementaux signés au cours du récent “Belt and Road Forum for International Cooperation”, le nombre d’ECZs pourrait facilement dépasser les 100 d’ici à 2020. De même, le nombre d’accords de libre échange (FTAs), qui s’élevait à 20 fin 2015, pourrait doubler à 40 à la fin de 2020. Alexious Lee remarque : « La Chine adopte une approche expansionniste afin de renforcer son commerce régional. En 2016, son commerce avec les pays de l’OBOR s’est établi à 6 300 milliards de renminbi, soit 26 % de son commerce total. »

Connectivité et sécurité énergétique

Mark Tinker signale que le déploiement de l’OBOR est également l’une des manières de l’Empire du Milieu de recycler son épargne « grâce à plus d’investissements directs dans des actifs réels, plutôt qu’en bons du Trésor américains. De fait, les marchés obligataires s’inquiètent des implications pour les obligations. Cependant, il est bien plus pertinent d’analyser où l’argent s’investit, plutôt que d’où il vient. » Quelles sont les destinations des investissements liés à l’OBOR? Jusqu’à présent, il s’agit principalement des infrastructures (55% des investissements entre 2014 et 2016), du transport et des télécommunications, de l’eau et de l’assainissement, mais aussi de toutes les technologies (de la finance comprise) facilitant la connectivité entre les pays et leurs consommateurs. La dimension modernité est un aspect essentiel de l’OBOR. Une autre de ses caractéristiques, toute aussi fondamentale, est celle de la sécurité énergétique (Voir cartes ci-dessus, Source CLSA). Comme l’observe Alexious Lee, plus de 60 % des accords d’infrastructure ont été signés avec des nations le long de la région Euro-Asie (dont l’Asie centrale) « stratégiquement vitales pour assurer le développement du commerce et la sécurité énergétique. Les accords gouvernementaux en question s’accompagnent souvent de contrats bilatéraux d’approvisionnement en énergie. » En 2016, les pays « non OPEC » interconnectés avec la Chine ont représenté 50 % des importations de pétrole de la Chine, à comparer à 38 % en 2013. « La Chine souhaitera sans doute monter au capital de Saudi Aramco (qui prépare son introduction en Bourse) afin de sécuriser ses approvisionnements long terme de pétrole. Toutefois, notons que cette ressource sera importée par le port de Gwadar au Pakistan (corridor OBOR « China Pakistan Economic Corridor » connectant Kashgar, de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, à Gwadar), ou, par le nouveau pipeline passant par le Myanmar. Les flottes américaines peuvent toujours s’entraîner dans le Détroit de Malacca, le pétrole n’y passera plus, » relève Mark Tinker.

L’union limite les risques

Comment ces gigantesques projets d’infrastructure sont-ils mis en musique ? En multipliant les accords dits de « Belt and Road cooperation » avec les gouvernements des pays parties prenantes de la Route. En ce sens, la tenue du “Belt and Road Forum for International Cooperation” à Pékin est loin d’être anodine. Les commentateurs de l’événement auraient bien tort de le réduire à un exercice de communication. L’avantage des collaborations directes entre gouvernements (G2G) est de « réduire les risques opérationnels et financiers des entreprises chinoises retenues pour mener à bien leurs projets de construction d’infrastructures en terrain étranger. Celles-ci gagnent aussi de meilleures marges,» indique Alexious Lee (Voir le graphique du mécanisme ci-dessus, Source CLSA). L’analyste précise : « Choisies d’emblée par l’État chinois pour faire partie d’un consortium, elles échappent aux appels d’offres ouverts qui les mettraient en concurrence avec leurs pairs internationaux. Le risque géopolitique, quant à lui, est atténué par le fait d’opérer sous l’autorité d’une joint-venture avec le pays d’accueil. »

Bien sûr, la Route de la Soie du 21ième siècle n’a pas que des adeptes, pour des raisons géopolitiques évidentes. Les États-Unis, par exemple, n’ont toujours pas rejoint l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) (Lire « La rapide montée en puissance de l’AIIB », ci-dessous). L’Inde, quant à elle, a boudé le forum du 14 et 15 mai, en désaccord avec la Chine quant à son implication au Pakistan et au Cachemire. Le Japon également était absent, considérant l’initiative chinoise comme un moyen de renforcer son pouvoir régional. Par ailleurs, l’Allemagne – imitée par d’autres puissances européennes et la Grande-Bretagne – a refusé de signer un communiqué de coopération commerciale (proposé lors du “Belt and Road Forum for International Cooperation”). La nation s’est dite préoccupée par « la transparence sur les achats et les normes sociales et environnementales. » Mettre tout le monde au diapason est loin d’être une tâche aisée. Pour autant, l’OBOR a un mérite, celui de proposer une autre voie que celle du protectionnisme.


« Belt and Road Portal » :  https://eng.yidaiyilu.gov.cn/     (www.yidaiyilu.gov.cn)


La rapide montée en puissance de l’AIIB

Au démarrage, ils étaient 57 membres fondateurs. Maintenant, 77 pays sont impliqués dans cette nouvelle Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB). Lancée en janvier 2016 (https://www.lazuli-international.com/le-memo-du-27012017/), cette institution internationale a été construite à l’initiative de la Chine dans l’optique d’épauler le déploiement de la Route de la soie du 21ième siècle. L’Empire du Milieu en demeure l’actionnaire majoritaire (32,4 % environ avec 27,8 % des droits de vote), suivi de l’Inde (9,1 % environ), de la Russie (autour de 7 %), de la Corée du Sud et de l’Australie. La banque présidée par Jin Liqun, qui se dédie à la construction d’infrastructures, a déjà approuvé le financement de 13 projets (au 2 mai 2017) pour un montant global de 2,175 milliards de dollars. Les projets signés depuis le début de l’année (au nombre de 4) concernent l’Indonésie, le Bangladesh et l’Inde. Financé en collaboration avec la Banque mondiale, le projet indien a pour objectif d’améliorer l’approvisionnement d’électricité dans certaines zones rurales indiennes, mais aussi d’installer une infrastructure d’alimentation en énergie adaptée à une « Smart City » (ville intelligente). Autrement dit, même si l’Inde affiche des différends diplomatiques vis à vis de la Chine, elle n’hésite pas à user des services de l’AIIB.

BNP Paribas dépositaire de l’AIIB

La France participe également à l’AIIB (depuis juin 2016), avec une part au capital de 3,6 % (lui conférant des droits de vote de 3,4 %). Depuis peu, sa participation revêt une dimension autre que celle de simple actionnaire. La banque française BNP Paribas Securities Services vient d’en être mandaté dépositaire mondial. Elle pourrait de la sorte recevoir en conservation 20 milliards de dollars d’actifs de l’AIIB. Cet accord récent devrait être mis en œuvre au cours du troisième trimestre 2017.