La Route de la soie du 21ième siècle sur les rails

CapdeChine route de la soie 12012016Les voyages du président de la République Populaire de Chine, Xi Jinping à l’étranger se multiplient. Ils s’accompagnent souvent de signatures de mémorandums de coopérations avec les nations positionnées sur les voies terrestres et maritimes de la « Route de la soie » moderne. Sa renaissance n’est guère une fiction, comme en témoignent les multiples travaux d’infrastructures déjà programmés le long de son tracé. Parmi eux, l’on peut citer, par exemple, la ligne à grande vitesse, construite par un consortium de compagnies chinoises, qui reliera Belgrade à Budapest, et dont l’ouverture est prévue pour 2018.

Une zone de libre échange « inclusive »
Les briques fondatrices de ce maillage immense, traversant 65 pays et régions, représentant une population de 4,6 milliards, s’installent vite : Les premières fois que cette ambition chinoise a été révélée datent seulement de septembre et d’octobre 2013, lorsque le président chinois, en visite en Asie Centrale et en Asie du Sud-Est, a proposé au Kazakhstan puis à l’Indonésie de construire conjointement la « Ceinture économique de la route la soie » et la « Route maritime de la soie du 21ième siècle ».
Depuis, le concept a été formalisé (Voir l’encadré sur le tracé, ci-dessous). Le 28 mars 2015, la Commission des réformes et du développement national de la République Populaire de Chine a précisé que l’OBOR (« One Belt, One Road » / « Une Ceinture, Une Route ») promouvra la connectivité des infrastructures, du développement des ressources, les coopérations industrielles, mais aussi l’intégration financière mondiale.
Aux côtés de la série de réformes d’ouverture de l’Empire du Milieu, dont celle de l’internationalisation du Renminbi, ce mouvement d’envergure doit aboutir à la formation d’une nouvelle plate-forme mondiale de commerce et d’investissement, tout en emboîtant les complémentarités des pays reliés entre eux. Autrement dit, il s’agit de créer une gigantesque zone de libre échange et de régions interconnectées.
Quelle est sa différence avec les divers traités d’échanges commerciaux actuels, tels le TPP (accord de partenariat transpacifique) ou le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) ? Son « inclusivité » : « N’importe quel pays intéressé peut y participer, lorsqu’il le souhaite, et sans date limite, sans calendrier imposé », observe Pansy Yau, directrice adjointe de HKTDC (Hong Kong Trade Development Council) Research.

Le numérique de la soie
L’autre modernité de l’initiative OBOR est d’insister sur les connexions entre les diverses régions et pays parties prenantes. Afin de remplir cette condition, le projet chinois s’appuie sur les nouvelles technologies et l’internet des objets (« internet of things »). Ce n’est pas un hasard si l’initiative de la « Route de la soie numérique » (« Digital silk road »), placée sous l’autorité chinoise du « virtuel » (« Chinese cyberspace authority »), reliée au programme domestique « Internet Plus » de déploiement de l’électronique chinois, a été lancée concomitamment. Quelle est sa mission ? Permettre aux entreprises investies dans la Route de la soie de participer à la « numérisation », tout en renforçant les relations commerciales entre la Chine et l’Europe.
A cet égard, Luigi Gambardella, le président de ChinaEU (association internationale jouant le rôle d’incubateur pour les startups novatrices du numérique, développées en commun entre la Chine et l’Europe), estime que la Route de la soie numérique est « la route de l’avenir.  La Chine et l’Europe doivent coopérer dans l’Internet. » Afin de faciliter les collaborations, il faudrait, selon lui, « qu’un traité de la « cyber route de la soie » soit établi : Nous devrions analyser les réglementations de chacun afin de discuter de la politique future. » Quoiqu’il en soit, plusieurs entreprises sont déjà passées à l’action. Des partenariats sont en train de se concrétiser, à l’image de celui entre Deutsche Telekom et Huawei, pour offrir une offre « nuage » (« cloud ») au marché chinois.

Des besoins colossaux
Contrairement à ce que certains observateurs ont jugé aux premiers jours de l’annonce de la volonté de revitaliser la Route de la soie, le projet n’est pas seulement politique. Il répond à des besoins réels, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Chine. Un chiffre pour s’en convaincre : Selon la Banque asiatique de développement, les investissements nécessaires en infrastructure en Asie sont d’en moyenne 730 milliards de dollars US par an jusqu’en 2020, dont 68 % dédiés à de nouvelles capacités et 32 % au maintien et au remplacement des facilités obsolètes.
La coopération ferroviaire qui vient d’être lancée entre la Chine et la Thaïlande, afin de construire une voie de 867 km, s’inscrit dans ce contexte. Il ne s’agit d’ailleurs que d’une « petite » section du projet chinois d’établir une ligne à grande vitesse reliant Kunming à Singapour, en passant par le Laos, la Thaïlande et la Malaisie. De même, en Indonésie, la Chine a remporté la construction (de 5,5 milliards de dollars) d’une ligne de 150 km de train à grande vitesse. Au grand dam des partenaires historiques indonésiens, dont les industriels japonais.
La Route de la soie est donc aussi en train de rebattre les cartes de la compétition mondiale, et dans de multiples secteurs. D’ailleurs, ce que les entreprises chinoises attendent le plus de l’OBOR (d’après une étude réalisée par le HKTDC), c’est de les aider à cibler directement de nouveaux marchés de consommation.

Exportations de surcapacités
L’autre effet escompté de l’OBOR est de contribuer significativement à la réduction des gigantesques surcapacités industrielles domestiques. D’après le Premier ministre, Li Keqiang, s’exprimant à ce sujet en octobre dernier, le ratio d’utilisation des capacités totales industrielles en Chine a tourné autour de 74 % au cours des trois premiers trimestres de 2015, un niveau nettement en dessous de la norme internationale d’environ 80 %. A titre indicatif, les capacités d’acier brut ont atteint 1 160 milliards de tonnes métriques en 2014, facteur à l’origine d’une chute de 71 % de l’utilisation des capacités de production du secteur (selon la « China Iron & Steel Association). « Au delà des coûts qu’ils représentent pour les entreprises, les excès de production sont en train de provoquer une baisse dangereuse des prix industriels de production, au risque d’entraîner toute l’économie en déflation. Les prix de l’acier, par exemple, ont déjà baissé de 20 % en un an… Les autorités ne peuvent pas laisser cette tendance se prolonger trop longtemps, » rappelle Alicia Garcia-Herrero, chef économiste Asie Pacifique de Natixis, basée à Hong Kong.
Cette situation constitue toutefois un avantage dès lors qu’il s’agit de concrétiser les appels d’offres remportés à l’étranger : Le coût des matériaux chinois utilisés lors des travaux d’infrastructures réalisés à l’extérieur du pays est quasiment nul. De plus, leur mobilisation est très rapide, puisqu’ils sont déjà produits.

CapdeChine 2Routedelasoie 12012016Hong Kong se mobilise
Une fois les capacités matérielles destinées aux travaux de l’OBOR regroupées, il reste à rassembler les financements. Si la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) a été créée dans cette optique, opérationnelle dès janvier 2016, ses moyens ne suffiront pas à couvrir tous les besoins estimés. Ni même en ajoutant le Silk Road Fund (de 40 milliards de dollars US), fondé par la Chine en décembre 2014.
Divers projets d’infrastructures seront donc financés via des partenariats publics privés (PPP). Et c’est dans ce domaine que Hong Kong est appelée à se mobiliser fortement, du moins au départ. Après avoir contribué, lors de la première phase de croissance de la Chine continentale, à l’élaboration des PPP destinés à la construction des autoroutes chinoises ou des centrales électriques, le Port au parfum sait maintenant gérer toutes les étapes de cet outil de financement. La région administrative spéciale de Chine dispose des compétences requises pour lever les capitaux en dollars mais aussi en devise chinoise, en tant que premier centre mondial de Renminbi « offshore ».
Parmi d’autres expertises, Hong Kong sait également coordonner, syndiquer, valoriser les projets, couvrir les montants de dette émise, apporter des services de conseil, de « due diligence », de comptabilité, de droit des affaires, etc.
La deuxième chance de Hong Kong à saisir dans le cadre de l’OBOR est de promouvoir la présence (croissante) des acteurs internationaux sur son territoire. Le but est de faciliter les discussions entre les divers contacts concernant d’éventuelles coopérations économiques, de futures connexions de places de marchés.
Une autre contribution envisagée est de participer à la construction de la plate-forme technologique électronique d’échanges d’informations, de documents et de paiements sécurisés, nécessaire pour répondre aux besoins futurs du commerce électronique de la Route de la soie du 21ième siècle.
En attendant, le HKTDC a déjà ouvert une plate-forme d’information destinée à l’initiative (http://www.beltandroad.hk/en/index.aspx). Elle permet, notamment, de connaître l’ensemble des projets d’investissements de l’OBOR à l’ordre du jour. Une source d’information centralisée très utile.

Un brin d’histoire ….

CapdeChine visite 231015L’OBOR n’est pas seulement portée par l’ambition de créer un nouvel essor économique. Elle revêt aussi une dimension culturelle. Très présente dans la littérature chinoise, la Route de la soie est partie intégrante de l’histoire de l’Empire du Milieu.

La Route de la soie a été établie, il y a fort longtemps, sous la dynastie Han (206 avant Jésus-Christ jusqu’à 220 après Jésus-Christ). Partant de Chang’an (Aujourd’hui Xian), elle s’arrêtait en Méditerranée, reliant la Chine à l’Empire Romain. Il est d’ailleurs plus exact de dire « routes de la soie » car il ne s’agissait pas d’une seule route mais plutôt d’une série de voies terrestres et maritimes. Leur fréquentation atteint son apogée sous la dynastie Tang (18 juin 618 – 1er juin 907) avant d’entamer un déclin sous la dynastie Yuan, dynastie mongole fondée par Kubilai Khan, régnant sur la Chine de 1279 à 1368. Finalement, la route de navigation dédiée à la soie s’arrête en 1453, à la suite de l’émergence de l’Empire Ottoman défavorable aux liaisons avec l’Occident.

Route de la soie 1 MSR and Big Bay Area (EN)

Source : HKTDC

Le tracé de la Route de la soie du 21ième siècle
L’objectif de l’OBOR (« Une Ceinture, Une Route ») est de connecter l’Asie, l’Europe et l’Afrique grâce à cinq itinéraires.

Ceux de la « Ceinture économique de la route la soie » terrestre :
1) Relier la Chine à l’Europe via l’Asie Centrale et la Russie
2) Connecter la Chine au Moyen-Orient via l’Asie Centrale
3) Réunir la Chine, l’Asie du Sud Est, l’Asie du Sud et l’Océan Indien

Ceux de la « Route maritime de la soie du 21ième siècle » :
4) Relier la Chine à l’Europe par la mer de Chine méridionale et l’océan Indien
5) Connecter la Chine à l’océan Pacifique Sud via la mer de Chine méridionale

Avec, à la clé, 6 corridors de coopérations économiques internationaux.

Le corridor de la nouvelle Eurasie (De Lianyungang à Rotterdam)
Le corridor Chine – Mongolie – Russie
Le corridor Chine – Asie Centrale – Asie de l’Ouest
Le corridor Chine – Péninsule d’Indochine
Le corridor Chine- Pakistan
Le corridor Bangladesh – Chine – Inde – Myanmar

(Repris par www.lepetitjournal.com/hong-kong ; Le Petit Journal de Hong Kong )