Dossier Japon : Le pays du Soleil levant en quête d’élan

CapJapon shinkansen shinKobe 07042016Des augmentations de salaires, un faible taux de chômage (autour de 3,5 % seulement), un déclin du coût de l’énergie, de multiples promesses d’intégration des femmes au marché du travail, le passage à des taux d’intérêt négatifs fin janvier afin de propulser l’inflation, et, pourtant, rien n’y fait. La consommation des ménages japonais s’installe dans une tendance poussive voire négative, comme en témoigne sa contraction de 3,4 % en 2015 (par rapport à 2014), tandis que le PIB du pays s’est replié de 1,1 %. « Le consommateur japonais demeure prudent car il n’a plus confiance dans les politiques du gouvernement ni dans celles des autres politiques du pays. La banque centrale ne peut inverser cette tendance toute seule, » commente Sean Taylor, responsable des investissements de l’APAC, responsable marchés émergents de Deutsche AWM.

Les ménages désenchantés

Surtout, les ménages ne se sont pas remis de la montée de trois points de la taxe de la consommation (à 8 %), appliquée depuis le premier avril 2014. Justifiée, d’après les autorités, par la nécessité d’engager un processus durable de désendettement du pays, cette démarche a occasionné le renchérissement de nombre de postes de dépenses incontournables. Depuis, les ménages économes, qui s’inquiètent en outre des effets du vieillissement de leur population sur la préservation de leurs retraites, ont supprimé les achats superflus. Cette attitude précautionneuse risque d’être bien difficile à modifier.

D’abord, il faudrait rassurer les futurs retraités quant à la viabilité de leurs futures pensions. Or, cet exercice de persuasion semble compromis dans l’immédiat, à l’heure où SMBC Nikko Securities Inc vient d’estimer la perte du Government Pension Investment Fund (GPIF) à 6 000 milliards de yen (54 milliards de dollars) pour l’exercice fiscal s’achevant en mars 2016. En cause, le repli de l’indice Topix et une remontée du yen depuis janvier. D’après ses résultats trimestriels (publiés le premier mars 2016), le GPIF a déjà perdu 511 milliards de yen entre avril 2014 et décembre 2015. Cela dit, il restait encore près de 139 825 milliards de yen d’actifs dans le fonds au 31 décembre 2015, à comparer à 137 477 milliards de yen un an auparavant.

Lobbying du secteur privé

Autre élément défavorable à un réveil de la demande des ménages, le Premier ministre Shinzo Abe a promis au Parlement japonais (le 29 mars 2016) qu’il accroîtrait la taxe sur la consommation à 10 %, comme prévu, en avril 2017, « à moins d’un événement non anticipé de l’ampleur du choc de Lehman Brothers.»  Au fait de ce contexte et inquiets du risque de récession, les quatre membres du Council for Economic and Fiscal Policy (CEFP, du Cabinet Office) venant du secteur privé (dont Sadayuki Sakakibara, responsable du Keidanren) ont pressé (le 4 avril) le gouvernement de prendre des mesures supplémentaires afin de stimuler l’appétit des consommateurs. Ils recommandent à cet égard une baisse de la taxation sur les revenus personnels, d’accélérer la mise en œuvre des initiatives destinées à relever le salaire minimum et à réduire l’écart de rémunération entre les employés réguliers et ceux exerçant sous contrats (pour un travail similaire). Ces quatre membres du CEFP proposent également un soutien accru aux familles avec enfants, ainsi qu’une participation croissante des femmes à la population active, tout en augmentant la productivité. Ces propositions pourraient éventuellement être reprises lors du prochain sommet du G7, qui doit se tenir les 26 et 27 mai prochains au pays du Soleil levant, à Ise-Shima (http://www.g7sendai2016.mof.go.jp/).

Quoi qu’il en soit, espérer un fort rebond de la consommation domestique n’est sans doute pas ce qui doit prévaloir dans l’analyse de l’économie du Japon, dès lors que son ajustement actuel correspond aussi, en partie, à une donne structurelle. (Lire l’entretien avec Hiroaki Misawa, gérant d’actifs assistant chez Aberdeen AM, basé à Tokyo) En attendant, en guise de relance, le ministre des Finances japonais, Taro Aso a confirmé (le 5 avril 2016) que les projets de travaux publics allaient être avancés : « Nous allons faire de sorte que 80 % environ des 12 100 milliards de yen dans le budget soient transformés en contrats d’ici à septembre. » Ceux-ci concerneront la rénovation de routes, de ports, de terres agricoles, d’écoles, mais aussi la reconstruction de zones dévastées par le tremblement de terre et le tsunami de 2011.

Attirer les investissements étrangers

CapduJapon 2 Shinkansen 07042016En même temps, Taro Aso a invité les entreprises à investir « afin d’aider à stimuler l’économie,» c’est à dire à faire bon usage de la politique monétaire expansionniste de la Banque du Japon (BOJ), conçue à dessein, pour revitaliser les investissements. « Comme l’assouplissement quantitatif (Quantitative easing, QE) n’a pas réellement fonctionné, la BOJ a eu raison de passer à des taux d’intérêt négatifs fin janvier, de tester ainsi d’autres outils permettant d’injecter des liquidités dans l’économie. Il n’est pas certain, cependant, que l’effet sur l’activité domestique soit notable car les taux d’intérêt étaient déjà bas depuis longtemps, » estime pour sa part Sean Taylor. Au moins, cette politique monétaire expansionniste permet d’assurer une dépréciation non négligeable du yen par rapport à son niveau de 2012 (de plus de 35 % par rapport au dollar entre le 06/04/2012 et le 05/04/2016), malgré son appréciation depuis le début de l’année (de plus de 8 % entre le 01/01/2016 et le 05/04/2016). Ce mouvement de fond est propice à la reconquête de parts de marchés des entreprises nippones à l’étranger (Lire l’entretien avec Hiroaki Misawa) mais aussi à l’arrivée de capitaux étrangers sur le sol japonais, en particulier dans l’immobilier (Lire l’entretien avec Phoenix Tsang, senior manager chez Daikyo Hongkong Limited).

A ce propos, Shinzo Abe espère que les investissements directs étrangers (IDE) sur le territoire japonais atteindront 35 000 milliards de yen d’ici à 2020, à comparer à près de 23 000 milliards fin 2014 (les afflux nets de capitaux ne représentant qu’un petit 0,20 % du PIB du pays du Soleil levant). Le pari n’est pas encore gagné, même si les derniers résultats enregistrés sont encourageants : En janvier 2016, les IDE se sont accrus de 10 708 milliards de yen. Un coup de pouce à cette ambition devrait être le lancement du programme de subvention destiné à motiver l’installation d’entreprises étrangères dans les centres d’innovation du territoire japonais. Les premières retenues pour en bénéficier (dévoilées le premier avril) sont les compagnies indienne, iWave, américaine, Space-Time Engineering, allemande, Siemens Healthcare et néerlandaise, Philips Electronics. La société va par exemple pouvoir travailler en collaboration avec l’Université de Showa pour développer un système internet dédié à la gestion des services médicaux entre les docteurs des hôpitaux de la région de Tokyo. Force est de constater que le Japon n’a pas l’intention de perdre son avance reconnue en matière d’innovation.


Redressement

Prévisions du ministère des finances japonais pour l’exercice fiscal 2016 (démarrant le premier avril)

CapdeJapon macro 07042016

(Unité : 100 milliards de yen)

Source : MOF


Budget 2016

CapdeJapon budget 07042016

Source : MOF


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