Le Japon soutenu par la vigueur de ses entreprises

« L’éconoCapjapon4mie japonaise sort la tête de l’eau, » commente Raymond Van Der Putten, économiste de BNP Paribas, en analysant la récente reprise économique du Japon, traduite par un PIB en augmentation de 0,4 % au quatrième trimestre 2014.

Elle marque la fin de la récession technique provoquée par l’augmentation de trois points de la taxe sur la consommation. Après un accroissement du PIB de 1,4 % au premier trimestre 2014 (par rapport au trimestre précédent), le repli du PIB s’était établi à 1,7 % au deuxième trimestre puis à 0,5 % au troisième trimestre.

Un redressement dopé par la chute des prix des produits pétroliers

« L’expansion générale, des exportations mais aussi de la consommation des ménages, qui ont toutes deux contribué positivement à la croissance, tient surtout au bas niveau des prix énergétiques, » précise Raymond Van Der Putten. Outre la faiblesse du yen, celle des prix des produits pétroliers a joué un rôle déterminant dans le rehaussement des perspectives de croissance du PIB japonais de la part du Fonds Monétaire International (FMI). L’organisation anticipe désormais une progression du PIB 2015 de 1 % en termes réels, à comparer à 0,6 % précédemment. Pour 2016, le FMI prévoit une hausse du PIB de 1,2 %, contre 0,8 % auparavant.

« Le rétablissement de la consommation des ménages aurait probablement été plus lent si les prix de l’énergie n’avaient pas chuté, » juge Kwok Chern-Yeh, responsable de la gestion d’actifs Japon chez Aberdeen Asset Management. L’expert remarque que l’effet de la hausse de la taxe sur la consommation d’avril 2014 n’a pas encore été absorbé. Il faudra encore quelques mois pour y arriver, car, entre octobre et décembre 2014, la consommation privée est tombée en dessous de son niveau d’il y a deux ans (lorsque le Premier ministre, Shinzo Abe, est entré en fonction).

La hausse des salaires fixes encore peu répandues dans les petites entreprises

Kwok Chern-Yeh indique aussi, qu’en ramenant à zéro l’indice des prix à la consommation (CPI) ajusté de la taxe sur la consommation, l’effondrement des prix du pétrole a atténué la pression sur les salaires réels. Pour autant, les espérances quant à leurs augmentations demeurent fortes. « Les salaires pourraient croître de façon non négligeable, allant jusqu’à 2,4 % en 2016, » estime Raymond Van Der Putten. Il est vrai que, lors des négociations salariales du printemps, les grandes sociétés se sont montrées bien plus généreuses qu’auparavant. Cette tendance est moins évidente dans les petites entreprises. Or, « 70 % des travailleurs japonais sont employés dans des entreprises de petites tailles, » note Kwok Chern-Yeh. La moitié d’entre elles aurait effectivement accru les rémunérations, mais, les revalorisations attribuées proviendraient essentiellement d’une montée des bonus et non des salaires fixes.

Des sociétés à nouveau confiantes

Un facteur supplémentaire de soutien de la reprise économique japonaise actuelle est sans conteste la vigueur retrouvée des entreprises. « Leur discours a changé radicalement par rapport à il y a deux ans, » observe Joyce Poon. La responsable de la recherche asiatique de Gavekal Dragonomics constate que « les entreprises ne parlent plus de leurs contraintes de développement liées au niveau du yen, de leur problèmes de compétitivité, mais de leurs affaires, de leurs projets de déploiements, d’investissements. »

Les analystes de Fidelity dressent un tableau similaire. Ils s’attendent à un accroissement notable des dépenses en capital et des dividendes. Ils prévoient que la rentabilité des capitaux propres (ROE) des entreprises japonaises cotées passe de 9,2 % en 2014 à 9,9 % en 2016. L’amélioration est incontestable, même si ces ratios demeurent en deçà de ce qui s’observe ailleurs dans le monde. A titre comparatif, les analystes de Fidelity calculent que le ROE pourrait passer de 16,4 % en 2014 à 17,5 % en 2016 aux États-Unis, et de 12,1 % à 12,7 % en Europe.

Quoiqu’il en soit, les ratios bénéfices sur ventes affichent des niveaux historiquement élevés, une tendance qui a toutes les chances de se poursuivre. Les entreprises vont évoluer dans un contexte apaisé, beaucoup plus porteur : « 2015 sera une année de stabilité, en termes de politique intérieure, de stabilisation de la devise, de meilleure demande mondiale… Elles n’auront qu’à se concentrer sur la façon d’optimiser les retours sur investissement des actionnaires, » commente Joyce Poon.

« Reste à savoir si, pour investir, elles vont commencer à puiser dans les liquidités massives qu’elles ont épargnées au cours des derniers exercices. Jusqu’à présent, pour financer leurs projets, elles n’ont fait qu’utiliser leurs bénéfices de l’année, » remarque la spécialiste de  Gavekal Dragonomics.

Un contexte porteur pour la Bourse

Ces perspectives de développement font le bonheur des investisseurs en actions japonaises, et cela d’autant plus qu’il s’agit d’un moteur supplémentaire au soutien de la Banque centrale du Japon (BOJ). Cette dernière a renforcé considérablement son programme d’achat de titres souverains japonais le 31 octobre 2014, le portant à près de 80 000 milliards de yen par an (17 % du PIB).

Comme le souligne Raymond Van Der Putten, l’échelle de ce programme est « sans égal dans le monde ». La valeur des actifs détenus par la BOJ représentait déjà 57 % du PIB fin 2014. C’est deux fois plus qu’aux États-Unis où la Réserve Fédérale détient l’équivalent de 25 % du PIB, et, bien plus qu’en Europe, où la BCE ne détient que l’équivalent de 20 % du PIB. Le nouveau programme d’achats d’actifs de la BCE (dévoilé en janvier dernier), de 720 milliards d’euros par an, soit 7,2 % du PIB, paraît modeste comparé au programme de la BOJ. L’ampleur de l’intervention de la BOJ n’empêche pas certains observateurs d’en imaginer un nouvel accroissement, au motif que l’objectif des 2 % d’inflation en 2016 sera difficile à atteindre, voire impossible.

La poursuite des réformes

Entre-temps, les « Abenomics » (le gouvernement de Shinzo Abe) se mobilisent afin de mettre en œuvre la troisième flèche – le troisième pilier de leur programme de campagne en 2012 – correspondant aux réformes structurelles. Elles doivent « permettre de redresser plus durablement l’économie, condition sine qua non de l’assainissement budgétaire et de l’absorption du coût du vieillissement de la population, » rappelle l’économiste de BNP Paribas.

La plus avancée est celle concernant le gouvernement des entreprises : En février 2014, l’Autorité des marchés financiers a proposé une version japonaise du « Stewardship Code » britannique. La nouvelle loi de juin 2014 sur les sociétés, destinée au renouvellement de la composition des conseils d’administration, propose, quant à elle, la nomination d’au moins un membre extérieur. Le nouveau code de gouvernance en cours d’élaboration, sans doute finalisé en juin, devrait donner plus de pouvoir aux actionnaires sur la gestion des entreprises.

Autre initiative, l’indice JPX-Nikkei 400 a été lancé en avril 2014, composé d’entreprises respectant les meilleures pratiques de marché. Cette initiative produit déjà des effets positifs : « La société Amada, fabriquant des machines pour le travail des métaux en feuilles, au bilan très solide, a été refusée de l’indice. Depuis, en réponse, elle a décidé de  modifier sa politique de distribution de dividendes, et de rémunérer ses actionnaires à hauteur de 100 % de ses bénéfices nets… » relate Kwok Chern-Yeh. Les temps peuvent changer rapidement au Japon.

« Abenomics », les ambitions de la « troisième flèche » :

 Redynamiser les entreprises

  • Renforcement de la gouvernance d’entreprise
  • Réforme du GPIF (Government Pension Investment Fund)
  • Promotion de la création d’entreprises
  • Réforme de la taxation des entreprises
  • Stimuler l’innovation par la science technologique et la technologie
  • Révolution de la robotique

Développer et améliorer la qualité de la main d’œuvre

  • Encourager le travail des femmes et leur carrière
  • Permettre une plus grande souplesse des pratiques de travail
  • Attirer les talents étrangers

Renforcer la concurrence

  • Restructurer le secteur électrique
  • Réformer l’agriculture
  • Revitaliser le secteur de la santé