Le récent scandale Baidu et ses implications


Albert Louie

Baidu, le moteur de recherche Internet dominant de Chine, a été pris dans la tourmente de la plus grande controverse du pays, à cause, justement, de la position dominatrice de ses opérations. Le géant a été blâmé publiquement à la suite du décès de Wei Zexi. L’étudiant de 21 ans, atteint d’un sarcome synovial (une rare forme de cancer), avait fait confiance aux publicités de soins médicaux fallacieux, diffusées à tout crin par le moteur de recherche de Baidu lui-même. Cette histoire tragique résulte-t-elle de lacunes réglementaires ou du non-respect de la régulation ? En Chine continentale, les lois et les règles sont bien définies et promulguées. C’est leur application qui demeure inconstante, dans un environnement des affaires opaque provenant de la structure du gouvernement de la Chine, protectionniste par nature.

La compétition, une question de pouvoir

Dans le cas Wei Zexi, les autorités chinoises ont été « forcées » de réagir, confrontées à l’indignation publique d’une multitude d’internautes, exposant leur colère sur les divers réseaux sociaux du pays après le décès du jeune homme (le 12 avril 2016). D’abord, le régulateur a ordonné (dès le 9 mai 2016) à Baidu de procéder à plusieurs modifications importantes sur ses divers outils Internet. Elles incluent la suppression des publicités destinées à promouvoir les institutions médicales non reconnues par le gouvernement, et de s’assurer que les promotions payantes ne dépasseront plus 30 % des résultats de recherche par page. Cette décision est-elle de nature à fragiliser le système Baidu et, par ricochet, à casser sa position dominante dans la publicité en ligne ? Pas du tout. Ce phénomène a peu de chance d’évoluer drastiquement, ni à court ni à moyen terme, contrairement à ce que certains observateurs auraient pu penser. En premier lieu, il faut se demander pourquoi Baidu domine le marché, loin devant Sohu ou Sina, etc. De même, comment Baidu a-t-il été capable de repousser Google du marché chinois ? Parce qu’en Chine continentale, la compétition ne suit pas les mêmes lois qu’à l’Ouest. Elle est avant tout une question de collaboration de pouvoirs. De plus, Baidu est considéré comme un outil de média et comme partie intégrante de la modernisation du pays. En contrepartie, son contenu doit être surveillé et contrôlé par les autorités. Sans leur soutien approprié, Baidu ne serait pas devenu le premier moteur de recherche du pays ( avec une part de marchés évaluée à 70 %). Les nouvelles restrictions imposées par le gouvernement ne créent pas non plus une occasion pour les entreprises étrangères de s’introduire sur ce marché très convoité. Les récentes mesures prises se destinent surtout à corriger les failles du mode de fonctionnement de l’infrastructure Baidu. Pour autant, cela ne signifie pas que les entreprises étrangères ne pourront pas s’adonner à de la publicité en ligne sur le territoire chinois et en bénéficier. Si elles espèrent réussir, elles devront simplement explorer d’autres façons pratiques de procéder.

Des besoins colossaux en ressources médicales de qualité

La deuxième réponse du gouvernement au scandale a été d’investiguer l’hôpital dénoncé par Wei Zexi. Résultat, deux responsables du Second Hospital of the Beijing Armed Police Corps ont été contraints de démissionner, parmi la douzaine de personnes à recevoir des sanctions disciplinaires. Il aurait en outre été confirmé que l’hôpital militaire abritait en son sein un centre biomédical privé tenu par le fameux « système Putian » (issu de la Province de Fujian). Constitué majoritairement « d’experts médicaux » non qualifiés, vendant des remèdes « populaires », le « consortium Putian » s’est infiltré dans plus de 80 % des hôpitaux privés, dont ceux disposant de la « marque » de l’Armée. Comment une association médicale non qualifiée a-t-elle réussi à s’introduire dans le réseau médical militaire ? Parce que la corruption règne. Elle a profité des failles du système, du manque d’efficacité de la réforme de l’industrie de la santé des dernières années, mais aussi, d’un éventuel manque de volonté politique. L’affaiblissement de ce réseau médical, désormais sous les feux des projecteurs, est sans aucun doute à l’ordre du jour de la campagne anti-corruption du gouvernement. Il est cependant difficile de dire aujourd’hui jusqu’à quel point les autorités ont décidé d’intervenir. Néanmoins, une nouvelle régulation est à l’étude afin de s’assurer de la qualification réelle des hôpitaux privés.

Quoi qu’il en soit, le cas Baidu met également en lumière le besoin colossal du pays en matières de ressources médicales de qualité. Il s’agit sans doute d’une occasion à saisir pour les compagnies étrangères du secteur. Encore faut-il qu’elles choisissent leurs partenaires avec beaucoup de précaution, afin d’éviter de tomber, à leur tour, dans les griffes du « système Putian ».


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